à Pied, Alpins et Mécanisés

Monument National de Périssac

LA PETITE HISTOIRE DU MONUMENT DE SIDI-BRAHIM

              1) ORAN 1898/1962, par le colonel Tourniaire Henri, ex 30ème et 70ème BCA, président de la Sidi-Brahim d’Algérie (1953-1962).

Préambule :  A travers les colonnes jaunies du vieil Echo d’Oran, journal de la province d’Oran, j’ai eu le loisir et la possibilité de relever pour la « petite histoire », le projet d’érection du monument de Sidi-Brahim, les difficultés rencontrées pour y aboutir, et le compte rendu de l’inauguration.
               Ces nouvelles d’autre temps, évènements passés dans la légende ou dans l’oubli, étaient la vie de tous les jours, celle de cette province Française d’Algérie, qui naissait à force de courage, de peine et de gloire.

Septembre 1845 : Des symptômes d’insurrection se sont manifestés dans les « Flatters » près de la frontière Algéro-Marocaine.
               Les troupes Françaises y ont éprouvé une sérieuse résistance. Deux engagements dans la matinée ont été très graves. Plusieurs officiers supérieurs, ont été tués, blessés ou faits prisonniers.
                Le lieutenant-colonel de Montagnac, commandant supérieur à Djemaa-Ghazaouet, est sorti avec la partie active de la garnison  (éléments du 8ème Bataillon de chasseurs d’Orléans), commandant Coste, et du 2ème régiment de Hussards, capitaine Gentil de Saint Alphonse, pour porter secours à ses malheureux camarades. Il a été attaqué près du Marabout de Sidi-Brahim par Abd el Kader, lui-même à la tête d’une nombreuse cavalerie.
               Une balle frappe mortellement le colonel de Montagnac. Cependant, avant de mourir, il a pu dire à ceux qui l’entouraient «Tachez de gagner le Marabout et faites y une défense désespérée».
                Le commandant Coste s’élance alors à la tête d’une compagnie mais il est lui aussi tué presque aussitôt.
               Enfin, le capitaine de Géreaux et le restant de la compagnie de Chasseurs (77 hommes), parviennent à pénétrer dans le Marabout de Sidi-Brahim. La fusillade fait rage immédiatement. A ce moment, Abd el Kader envoie le capitaine Dutertre qui est son prisonnier, vers le Marabout pour prévenir de Géreaux que s’il se rend avec ses hommes, ils auront tous la vie sauve.
                Le capitaine n’hésite pas. Il se fait conduire vers le marabout et malgré l’affreuse douleur de ses blessures, s’écrie « camarades, défendez vous jusqu’à la mort ».
               Un roulement sinistre suit ses paroles. Atteint de nombreuses balles, il tombe foudroyé.
               La défense s’organise à l’intérieur du Marabout sous les ordres du capitaine de Géreaux.  Pendant 3 jours, Abd el Kader le somme de se rendre. La réponse est toujours la même : Les Français mourraient mais ne se rendraient pas ! Enfin, à bout de forces, privés de vivres et de munitions, les chasseurs décident de se replier vers Djemaa-Ghazaouet. La garnison alertée par la fusillade ne put recueillir que 14 chasseurs. Tous les officiers avaient été tués.
               Tel est dans sa grande brièveté le récit tragique de combats héroïques qui durèrent trois jours et trois nuits et ne cessèrent qu’à l’arrivée des survivants à Djemaa-Ghazaouet. Mais il est intéressant de reproduire ici un article paru dans l’Echo d’Oran n° 52 du samedi 4 octobre 1845. Il a été écrit 10 jours après les combats sous la dictée du caporal Lavayssière, un des 12 échappés du massacre, et le seul qui ait rapporté son fusil.

1893 : Un demi siècle vient de s’écouler. Le souvenir de cette lutte qui avait coûté tant de sacrifices et provoqué tant de sublime héroïsme n’était pas éteint dans le cœur des habitants d’Oran.
               L’idée d’un monument devant rappeler le courage des combattants du Marabout de Sidi-Brahim était lancée, une souscription ouverte, le sculpteur choisi : DALOU, l’un des plus grands de l’époque. L’auteur du Triomphe de Silène, du monument d’Eugène Delacroix au jardin du Luxembourg, ainsi que du Triomphe de la république situé place de la Nation à Paris.
               La presse tient les lecteurs au courant de tout ce qui est susceptible d’assurer le succès du projet concerné.
               Le propriétaire des carrières de marbre de Kléber, monsieur Emile Delmonte, fait savoir au comité chargé de l’érection du Monument, « qu’il livrera tout le marbre nécessaire à prix coûtant ».
               Soudain surgit une protestation du baron de Montagnac, descendant de l’un des héros de Sidi-Brahim. Il avait recueilli en France des fonds s’élevant à une vingtaine de mille francs. Or, il écrit au comité « qu’il veut un monument à la mémoire de son oncle », un des héros du glorieux fait d’armes, et non le projet de Dalou qui ne lui convient pas pour des raisons dans lesquelles l’idée patriotique n’a que faire.
               Le comité répond que la grosse majorité des souscriptions adressées à monsieur de Montagnac, notamment celle des bataillons de chasseurs à pied étaient destinées, non pas au monument de Monsieur de Montagnac mais « à un souvenir de Sidi-Brahim englobant tous les héros connus ou inconnus de cette glorieuse épopée ».
               Le baron de Montagnac étant décédé sans avoir pu donner une solution à son différend avec le comité organisateur, l’Echo d’Oran publie le 1er octobre 1895 les lignes qui suivent :

« La mort de baron de Montagnac survenue il y a déjà quelques temps mais confirmée, retarde la solution de cette question… on sait que Monsieur de Montagnac s’est toujours refusé à verser entre les mains du comité les souscriptions s’élevant à 12000 francs recueillies par lui en France. Les héritiers persisteront-ils dans ce refus ? »

Une entente est arrêtée avec le sculpteur Dalou pour la fourniture de la statue et du monument au prix de 35000 francs, somme couverte par les souscriptions et les subventions de la colonie, mais une vingtaine de mille francs est encore nécessaire pour le transport de Paris à Oran des pièces du monument, pour la construction et l’installation d’une grille d’entourage, l’établissement du croquis, la construction du piédestal, etc…
               L’affaire paraît  s’arranger, la veuve et les ayants-droit du baron de Montagnac versent au comité d’Oran les souscriptions qu’ils détiennent, ils envoient un chèque de 10000 francs.
               C’est maintenant le sculpteur Dalou qui réclame la subvention du département, de la ville et les 4000 francs non encore versés par l’Etat.
               Le comité sous la présidence du maire exprime son étonnement  devant l’exigence d’un artiste qui a déjà accepté 5000 francs avant d’avoir commencé son travail, alors qu’il fait subir retard sur retard pour la livraison de la statue.
               Le comité ajoute « qu’il ne  doute pas de la valeur artistique d’une Gloire et d’une France  qui n’ont pas du coûter de grands efforts d’imagination à un sculpteur de grand talent. »

Ce ton un peu vif répondait au style commercial et d’un laxisme fâcheux dans sa lettre au Maire ainsi conçue « Monsieur le Maire, je ne peux accepter les conditions que vous me faites, j’exige le paiement immédiat. »

En juillet 1898, le premier adjoint au Maire, de passage à Paris, remet le chèque de 10000 francs à Dalou.
Le 2 octobre de la même année une commission des fêtes est désignée ; voici un autre sujet de désaccord : où le monument sera-t-il élevé ? 
Plusieurs propositions sont en présence. Certains demandent qu’il soit édifié à l’angle du cercle militaire, au pas coupé qui en forme l’entrée mais le général commandant la division s’oppose à une cession d’une parcelle du cercle.
Alors recommence le petit jeu : à la promenade de l’Etang ? sur la place du marché Kargentah ?

Le sculpteur mis au courant de tous ces projets se fâche : « j’avais indiqué, écrit-il, le point qui me semblait le plus convenable…. La voix de l’auteur compte peu alors que les préoccupations artistiques font place à d’autres considérations. Si le monument fait mauvais effet à une nouvelle place, du moins ne pourra-t-on m’en rendre responsable. »
               Le Conseil municipal, réuni aussitôt, est de l’avis du sculpteur DALOU, le monument s’élèvera au milieu de la place d’Armes (place Foch); Pourtant, un bouillant conseiller veut qu’on formule cette réserve : « Si le monument ne plaît pas une fois construit, on aura le droit de le démolir. »
Finalement, la proposition du Maire, l’emplacement de la place d’Armes, est adopté par 15 voix contre 11.
Les manifestations sont alors prévues pour décembre 1895.

Une invitation est adressée à chacun des survivants de Sidi-Brahim : Léger Gabriel, demeurant à Goulour canton de Montsaughe dans la Niévre, Rolland, chevalier de la Légion d’honneur, adjoint au maire de Lacalm, canton de Sainte Geneviève dans l’Aveyron, et Pègre, chevalier de la Légion d’honneur, receveur buraliste à Vivien, également dans l’Aveyron.

Pègre et le clairon Rolland répondent qu’ils assisteront aux fêtes. Léger regrette d’en être empêché par son grand âge, il écrit « j’aurais eu cependant une joie immense en embrassant mes deux vieux frères d’armes Rolland et Pègre. A côté d’eux, il me semble que j’aurais pu encore marcher au pas ».
               Terminons cette partie de chronique volontairement dépouillée de tout ornement sentimental trop facile, sur ces magnifiques paroles dignes d’un vieillard qui fut l’un des héros de Sidi-Brahim et qui dut avoir les yeux mouillés de larmes en les écrivant.

 

1898 : Monument de Sidi-Brahim : Inauguré le 26 décembre 1898, place d’Armes à Oran. Ce monument est composé d’une haute stèle, surmontée d’une victoire ailée en bronze. Au bas de la colonne est inscrite la phrase du capitaine Dutertre « camarades, défendez vous jusqu’à la mort ».

             Le noël de 1898 était dédié à la mémoire de notre valeureuse armée d’Afrique. 
En présence du gouverneur général, les populations d’Oranie assistaient, place d’Armes, à une grandiose cérémonie, au cours de laquelle était inauguré le monument de Sidi-Brahim.
Toutes les voies affluant à la place d’Armes desservent une foule pressée, sur le vaste emplacement où va se dérouler dans quelques instants l’importante cérémonie de l’inauguration du monument.
Les troupes prennent place dans l’ordre suivant : à l’est du monument, le général Mauduit et son Etat major, les pompiers et les équipages de la flotte à l’ouest, les ouvriers d’administration, le génie, les douaniers, le tout encadré d’une double haie formée par les zouaves en armes et les jeunes recrues des différents corps en tenue du dimanche, les tirailleurs et la section de la légion étrangère forment la troisième ligne.

L’artillerie est massée sur la place des quatre-bras, les chasseurs d’Afrique et les caïds à l’entrée du boulevard national. Les différentes musiques s’étagent sur les escaliers de l’hôtel de ville. Les sociétés civiles sont groupées sur la partie ouest de la place.
               A deux heures précises, le gouverneur fait son entrée dans la tribune officielle, salué sur son passage par les cris de « Vive le gouverneur, vive l’armée» et les applaudissements de la foule immense qui se presse aux alentours de la place, aux fenêtres, aux balcons, et sur les terrasses de toutes les maisons.
               Alors a lieu la touchante présentation à Monsieur Laferrière, Gouverneur général de l’Algérie, des délégations du 8ème chasseurs d’Orléans, du 2ème hussards et des deux survivants Rolland et Pègre.

Dès que l’arrivée des deux vétérans lui est signalée, le Gouverneur descend les marches de l’estrade et s’avançant au devant d’eux, étreint cordialement la main des deux braves au milieu des applaudissements et des acclamations des assistants.

Il est 2 heures 30, le voile du monument tombe, le canon tonne, les quatre musiques jouent La Marseillaise et Monsieur le commandant Mirauchaux fait la remise officielle du monument à la municipalité.

Monsieur le général de Ganay prononce son discours 

« Messieurs, c’est vraiment une fête bien militaire et bien française que celle à laquelle nous convie aujourd’hui la ville d’Oran et nous lui devons des remerciements pour avoir su trouver sur ce terrain de concorde sur lequel tous les partis et toutes les convictions peuvent sympathiser. Ne trouvons nous pas dans les combats de Sidi-Brahim de quoi satisfaire les goûts les plus différents des amoureux de bravoure et d’abnégation.

Ceux qui admirent surtout le courage du chef, le courage qui sait s’oublier lui-même et se communiquer à tous choisiront Montagnac, imposant à ses subordonnés une telle confiance et un tel élan que, pendant ces trois terribles journées, pas un seul cas de défaillance ne s’est produit parmi eux. Courby de Cognard gardant en captivité sur ses compagnons d’infortune, une autorité sanctionnée seulement par la respectueuse affection qu’il leur inspirait ; de Géreaux, Chapdelaine, brûlant les dernières cartouches dans le Marabout, ramenant ensuite jusqu’auprès de Nemours les survivants du drame et tombant avec eux , tout près du salut, en ce lieu qu’aujourd’hui encore, nous nommons respectueusement Le Tombeau des Braves ».

Monsieur le Gouverneur général clôture la cérémonie par ces quelques mots :

« Qu’il me soit permis, Messieurs, de remercier tous ceux qui en offrant à l’Algérie et au-delà d’elle à la France ce spectacle réconfortant. Je veux d’abord saluer l’armée, oui, cette fête est avant tout la sienne, celle de la vaillance et de la haute vertu qui honorent les chefs, qui honorent aussi les soldats, presque toujours inconsciente de sa propre grandeur, jusqu’à ce qu’elle se révèle par un triomphe héroïque » .

 

1899-1962 : Pendant cette période, le monument de Sidi-Brahim rappelle aux Oranais l’héroïsme d’une poignée de braves parmi les braves.

Il est devenu le lieu de pèlerinage où chaque année la Sidi-Brahim d’Algérie vient se recueillir et déposer la gerbe du souvenir.
               En mai 1930, à l’occasion de la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, les autorités militaires organisent un défilé inoubliable des anciennes troupes en tenue de l’époque.
Place d’Armes, les  troupes de 1830, se massent à droite et à gauche du monument devant lequel les chasseurs d’Orléans, les héros du capitaine de Géreaux prennent place, tandis que toutes les troupes de la garnison, musiques et drapeaux en tête défilent devant cette glorieuse évocation. Le défilé terminé, le général Rondenay, commandant la division d’oran, accompagne le président de la Sidi-Brahim  d’Algérie, qui, au nom de tous les Anciens Chasseurs, dépose une gerbe de fleurs au pied du monument.

1962 : Le sort en est jeté, l’Algérie est indépendante. Désormais, les troupes Françaises se retirent et plus rien ne doit rappeler leur présence et leur bravoure.
Que vont devenir nos monuments chasseurs qui jalonnent l’épopée de Sidi-Brahim ? Allait-on voir les manifestants effacer tous les souvenirs comme ils avaient déjà commencé de le faire à Alger ? Certains considèrent déjà que Sidi-Brahim est une victoire d’Abd el Kader et que le monument d’Oran, sera le symbole de la résistance. Le tombeau des Braves a dejà subi de graves outrages.
               Il est des lâchetés qu’un chasseur ne peut commettre et l’honneur de l’armée demandait que ces monuments soient transportés sur le sol de la Mère Patrie.

C’est alors que j’alertais le président Kugler, de la FNAC, à Paris et en particulier le 8ème BCP et tous les chasseurs de France par un article inséré dans le Cor de Chasse N° 7, d’août et septembre 1962.
Je ne reçus qu’une réponse datée du 1er novembre  1962 et elle m’était adressée par le colonel d’artillerie Péninou, compatriote du capitaine de Géreaux à Périssac (Gironde). Il était  fermement décidé avec l’appui de la municipalité et du Grand président Borie de la Sidi-Brahim de Bordeaux, de mettre tout en œuvre pour récupérer les motifs en bronze du monument qui s’élèverait à nouveau sur la place de la commune natale du capitaine Oscar de Géreaux.
               Comme moi, le colonel Péninou est un ancien Enfant de troupe du début du siècle. Dès l’échange de nos premières lettres, j’ai  réalisé avec certitude que le monument de Sidi-Brahim serait sauvé de l’oubli.

Dès ce moment, le colonel Péninou, patriote dans l’âme, animé du culte du souvenir, va se donner tout entier pour arriver au but qu’il s’est fixé.
Il y a réussi. Au nom de tous les chasseurs de France, je lui adresse un  grand coup de béret pour le remercier d’avoir pris en main notre cause, d’avoir surmonté toutes les difficultés pour que le culte de Sidi-Brahim soit toujours vivace dans nos cœurs.
               C’est après lui en avoir parlé au Congrès de la FNAC, à Vincennes en mai 1958, que j’ai écrit ces quelque pages de La Petite histoire du Monument de Sidi-Brahim et je suis certain qu’il en fera de même, pour compléter ce récit en écrivant celle de 1963 à nos jours.

H. Tourniaire

Monument de Sidi-Brahim à Oran

 

Monument de Sidi-Brahim à Oran

Monument de Sidi-Brahim à Oran